Le musée du verre de Sorèze a choisi ce thème d’exposition car il possède de nombreux verres à boire datant de la deuxième moitié du 17ème et de l’ensemble du 18ème siècle. Il est moins riche en verres à boire du 19ème siècle, suffisamment, toutefois, pour montrer l’évolution de la production française du verre à boire, depuis la légèreté et l’élégance du verre façon de Venise du 17ème siècle jusqu’au brillant du verre en cristal taillé, gravé et doré du 19ème siècle.
Au 16ème siècle les verreries forestières françaises et européennes créent des verres dits «à la façon de Venise».
Cette caractéristique tient, aux qualités de la production verrière italienne, et à la présence déjà ancienne de nombreux verriers italiens dans les verreries françaises. Cette influence vénitienne perdure au 17ème siècle.
On l’observe sur les quatre verres à boire les plus anciens du musée. Récemment, grâce à l’ERSAVF [ Equipe de recherches scientifiques et archéologiques des verreries forestières. J-C AVEROUS et S de GRENIER] qui a recueilli dans les ruines des verreries de la Montagne Noire des fragments de verre dont certains sont identiques aux parties correspondantes de ces 4 verres nous avons pu obtenir la certitude que ce type de verre était créé en Montagne Noire.
Dans le dernier tiers du 17ème siècle il apparaît, en France, une production de verres à boire caractérisés par une grande légèreté. Les coupes sont lisses. Les jambes sont soit grêles, soit de type fuseau spiralé soit présentent un ou deux boutons ou un disque plat. Les pieds sont plats souvent sans ourlet. Ces verres ont été baptisés « verres de fougère » parce que de la cendre de fougère, donc de la potasse, était ajoutée comme fondant au sable.
Le même type de verre a été obtenu par addition de cendre de salicorne, donc par de la soude. Pour désigner la totalité de cette production nous parlerons de verres dits de fougère. Leur succès a été considérable. Celui-ci est traditionnellement rapporté à deux qualités supposées de ces verres à boire. Le vin y serait meilleur et plus riche en saveurs. La finesse de ces verres est telle qu’ils ne résisteraient pas à la présence d’un poison.
Dès le début du 18ème siècle le même type de verres est soufflé dans des moules donnant aux coupes un décor fait d’alvéoles et (ou) de côtes verticales. Ces verres sont appelés verres d’Orléans. L’utilisation de ces verres pendant le premier tiers du 18ème siècle semble généralisée en France. Dans la première moitié du 18ème siècle les verres de Bohême et à un moindre degré les verres allemands supplantent dans toute l’Europe les verres vénitiens car leur matière appelée verre cristallin est très claire, très pure, plus facile à tailler et à graver. Aussi, dès le milieu du 18ème siècle, pour enrayer l’importation massive de ces verres, les verriers français créent de nouvelles variétés de verres à boire qui sont plus volumineux, plus lourds dits à la façon de Bohême, à la façon d’Angleterre ou d’inspiration allemande. Ainsi, apparaissent les verres à jambe polylobée dits à la façon de Bohême. Les coupes sont coniques ou tronconiques. Elles surmontent, soit par l’intermédiaire d’un anneau soit directement, une jambe épaisse, souvent creuse, polylobée (quatre à huit pans). Puis, de 1750 à 1760, une très importante création de verres dits Bourguignons d’inspiration allemande est réalisée dans les verreries forestières. Ce sont des verres dont la coupe est tronconique avec un fondeau parfois épais. Plus tard, surviennent les verres dits cornets répondant à la mode de simplification des formes. Les jambes sont dans le prolongement direct des coupes (même paraison), présentant souvent une bulle sous la coupe, s’affinant vers le bas, reposant sur un pied surélevé et ourlé. Dans la dernière partie du 18ème siècle, des verres à coupes côtelées (dites aussi à pans coupés) sont également créés. Ils sont soit en verre soit en cristal. Les jambes sont de type balustre inversé et parfois taillées à facettes.
Les gobelets, autre forme de verres à boire, sont créés pendant tout le 18ème siècle. Ils sont soit en verre opalin, soit en verre incolore soit en cristal. Ils sont soit de facture grossière, soit émaillés (souvent naïfs), soit gravés (circonstanciels ou patronymiques) soit dorés. Enfin, des verres à façon d’Angleterre sont créés en France avec des formes typiquement anglaises et souvent des jambes à twist. Rappelons que le premier cristal fait en France, officiellement reconnu, date de 1782 (bien après le cristal au plomb britannique). Les verres français en cristal datent donc des dernières années du 18ème siècle. Ils sont le plus souvent taillés et gravés. Certains d’entre eux se caractérisent par une jambe à gros balustre inversé. La coupe est gravée et le balustre taillé à facettes. Le pied est surélevé avec ourlet. Bien évidemment dans cette époque de création verrière intense de nombreux verres n’entrent pas dans cette ébauche de classification. Ils empruntent des caractéristiques à plusieurs types de verre.
Les bouleversements introduits par la révolution française, la suppression des privilèges ayant entraîné la disparition de nombreuses verreries, les progrès des techniques verrières, l’apparition d’une nouvelle société au goût prononcé pour le brillant du cristal conduisent à une modification profonde de la création verrière française. Ainsi, dès le début du 19ème siècle et pendant toute l’époque du premier empire (1804-1814) la création et l’utilisation de gobelets en cristal se généralisent. Ceux-ci sont soit cylindriques, soit cylindriques à bords évasés, soit bombés en forme de petit baril, soit enfin, en forme de tulipe. L’ajout d’une jambe (soit taillée à facettes soit à côtes plates) et d’un pied (rond ou carré souvent taillé) transforment ces gobelets en verre à jambe. Des verres à coupe ovoïdes, souvent en cristal, sont également créés à la même époque. Le plus grand nombre de ces gobelets et de ces verres à boire sont gravés et taillés. Les thèmes des gravures sont des figures humaines (mythologie, amours), des marques individuelles (monogramme, patronyme), des décors végétaux, animaux ou architecturaux. L’époque restauration est l’âge d’or du verre à boire en cristal taillé. Taille en diamants, à facettes, en olives, à côtes etc. Toutes les parties des verres peuvent être l’objet de taille. La face inférieure des pieds est souvent décorée d’une taille rayonnante de 12 à 36 pointes. Des verres à inclusion de camées ou d’émaux sont réalisés pendant la même période. Les émaux préparés à l’avance (verre à la légion d’honneur par exemple), sont appliqués dans le moule avant d’y souffler le cristal.
Au début des années 1830 apparaissent, à partir d’une technique venant des Etats-Unis d’Amérique des gobelets et des verres à boire dont le soufflage dans un moule est obtenu mécaniquement par pression. Ces verres ou ces gobelets ornés et lourds sont dits pressés moulés et faits en grand nombre dans les principales cristalleries françaises. Vers la fin des années 1840, le remplacement du plomb par des borosilicates de potassium ou de zinc permet d’obtenir une matière dont les qualités seraient supérieures à celle du cristal au plomb. Ces verres, souvent massifs, sont moulés et (ou) taillés. Tout au long du second empire et de la troisième république la production de verre devient massive caractérisée par un grand éclectisme et l’impossibilité d’une systématisation. Quelques verres à boire sont présentés ici témoins de la grande diversité de la production verrière française à cette époque. Dans les dernières années du 19ème siècle l’art nouveau dans le domaine verrier permet l’émergence d’artistes qui renouvellent la création verrière grâce à la réalisation d’œuvres originales par la matière, par les formes, par les thèmes, par les couleurs. Parmi elles, il y a peu de verres à boire. Le musée n’en possède malheureusement pas.
Jean-Paul Besombes