Le département du Tarn a produit du verre pendant plus de 600 ans, satisfaisant aux besoins de sa population et fournissant également les régions limitrophes. Les emplacements de verreries forestières recensés en 2009 par Lise Caliste au nord de la Montagne Noire sont multiples. Si on a longtemps considéré que la production était purement utilitaire, les fouilles conduites depuis une vingtaine d’aimées sous l’égide du Parc Régional du Haut Languedoc ont modifié notre regard en exhumant les vestiges d’une gobeleterie de grande qualité. Malgré le peu d’objets intacts arrivés jusqu’à nous, des collections privées et publiques existent. Certains musées de la région conservent des pièces rares et parmi ces derniers, le musée du verre de Sorèze est particulièrement bien positionné.
LES XVe ET XVIe SIECLES
Si les textes évoquent quatre verriers à Sorèze au XIIIe siècle, si un four à verre est cité en forêt de Ramondens en 1320, nous n’identifions vraiment les gentilshommes verriers oeuvrant aux deux pôles de la Montagne Noire qu’à partir de la fin du XVe siècle. Nous savons peu de la production de cette période qui va du milieu du XVe à la fin du XVIe siècle, mais suffisamment cependant pour pouvoir l’intégrer dans un ensemble plus vaste et mieux connu grâce aux travaux de Danièle Foy sur le verre médiéval. A la faveur d’opérations d’entretien, Yves Blaquière a en effet pu effectuer au début des années 70 une prospection de surface sur deux sites d’ateliers verriers engloutis, l’un sous les eaux du lac de St Ferréol, la verrerie de L’Encastre et l’autre sous celles du lac des Cammazes, la verrerie dite de la Garbelle. Sur ce dernier site, dont on a identifié le four, ont été mis en évidence les restes d’une activité soignée, gobeleterie caractéristique de l’époque, très fine, incolore soulignée de filets bleus rapportés. A l’Encastre, l’environnement a été totalement détruit lors de la construction du barrage de Saint Ferréol. On semble y avoir travaillé plus particulièrement les perles. Celles qui sont en notre possession sont de toutes tailles, formes et couleurs, identiques aux perles vénitiennes de la même époque, telles qu’elles étaient utilisées en parures ou en chapelets. Elles semblent datables du XVIe siècle. La prospection de surface a récolté aussi des fragments de verre moulé blanc ou d’un bleu lumineux. D’après Yves Blaquière, la verrerie aurait été dirigée par des membres de la famille de Robert (Jean de Robert) et aurait cessé son activité au début du XVIIe siècle au plus tard.
LES XVIIe ET XVIIIe SIECLES
En dehors d’une courte séquence où le comte de Bieule à Laprade et les Charteux de Saïx au Cayroulet2 ont financé la fabrication de verre à vitre en faisant venir des verriers d’origine lorraine établis en Bourgogne, nous savons que là, comme dans toute la juridiction de Sommières, la tradition du menu verre s’est perpétuée avec soufflage de contenants (bouteilles, gourdes, mesures, topettes, verres à boire ordinaires), de teinte verte en raison du caractère très ferrugineux du sable. Ce verre était bon marché et peu considéré puisque, dès lafin du XVI siècle, l’aristocratie française a recherché le verre blanc, imitant le cristal à la manière de celui de Venise.
On a longtemps cru que le Languedoc s’était limité à ce type de production.
Pourtant, les descendants de gentilshommes verriers3 dans les ouvrages qu’ils ont publiés aux XIXe et XXe siècles, montraient des photographies de collections familiales où voisinaient du verre « traditionnel » et des pièces en verre blanc beaucoup plus sophistiquées.
Ces données sont actuellement confirmées par les résultats de plusieurs fouilles archéologiques conduites à l’Est de la Montagne Noire.
Les fouilles de Peyremoutou4, commune de Saint-Amans-Soult
Suite à la découverte des fours par JC. AVEROUS, le site a fait l’objet en 1981 d’une étude archéologique. Il était occupé au XVIIe siècle par la famille de Robert. Le rapport de fouille est concluant : à côté des mesures et bouteilles vertes typiques, les restes d’une gobeleterie très recherchée ont été mis à jour avec en particulier des verres à boire fins à jambe creuse travaillée, de couleur claire, d’une grande maîtrise d’exécution et révélant pour certains des influences italiennes. Les experts parisiens Keith King et Sylvie Lhermitte-King se sont basés sur ces résultats pour attribuer aux de Robert une partie des verres du XVIIe siècle faisant partie de leurs collections5.
Les fouilles d’Isabelle COMMANDRE et Frank MARTIN à Lacabarède6
Les fouilles effectuées en 2007 sur l’emplacement d’un atelier de verriers proche de la verrerie « de Tournier » sur le ruisseau de Candesoubre, affluent du Thoré, vont dans le même sens qu’à Peyremoutou alors même que tous les résultats ne sont pas encore connus. Là encore, le site était a priori exploité par la famille de Robert. Bien que l’on y trouve flacons, bouteilles et gobelets verts d’usage courant, la majeure partie des produits finis est faite de verres à boire de couleur grise, soufflés en trois paraisons. La jambe est creuse ou pleine, ornée d’un décor moulé nervuré, parfois ovoïde en forme de bulbe allongé et séparée de la coupe et du pied par un ou deux anneaux pleins. Cette forme de verres se retrouve également à la même époque dans la région lyonnaise.
Les fouilles d’Isabelle Commandré et Frank Martin à Fraïsse-sur-Agout 7(atelier du Bureau daté du XVII siècle)
« 90 objets ont pu être identifiés, répartis selon plusieurs grands ensembles : les formes ouvertes avec verres à boire à tige, les formes fermées illustrées par des vases à liquide de petite ou grande contenance et enfin des éléments d’ornementation représentés par des perles. ». Les tiges des verres sont généralement creuses et baguées, les coupes présentent des côtes horizontales moulées ou « des décors jaspés de grande qualité technique et esthétique ». A noter plus particulièrement des décors tachetés de couleur rouge, blanche, bleue et jaune rappelant le–travail à l’italienne.
LE XIXe SIECLE AUX VERRERIES DE MOUSSANS
En ce qui concerne la Verrerie de Moussans, seule en lice sous la houlette des Riols de Fonclare à partir de la fin du XVIIIe siècle, certains des objets fabriqués sont les témoins d’une recherche certaine, avec des jambes à double twist de plusieurs couleurs, des anses torsadées, des contenants soufflés moulés à grosses côtes ou spiroïdaux et des décors de filets rapportés pincés aux fers. En 1868, Gustave de Fonclare, propriétaire et officier de la Garde Impériale, fait construire un four à charbon à fusion continue avec 7 pots de grande contenance, embauche un fournaliste spécialisé pour tenter de faire de la gobeleterie fine et installe une taillerie perfectionnée8. Pourtant les affaires sont mauvaises et l’établissement change de mains
L’étude, effectuée par Y. Blaquière9 d’une part et G. Penin d’autre part à partir des registres de comptabilité de la dernière période d’activité, permet de voir à quel point la production de Moussans inonde la région pendant des décennies. Entre 1878 et 1888, 64 verriers, dont 17 descendants de gentilshommes verriers (majoritairement des « de Robert »), sont cités et travaillent à temps partiel. On continue à respecter le rythme traditionnel des campagnes, généralement hivernales. Sous l’impulsion du directeur, Gustave de Riols de Fonclare Chevalier, la verrerie, avec deux fours, l’un à bois et l’autre au charbon, fournit tous les objets courants correspondant à la demande régionale à l’exception de la vitre et des bouteilles en verre brun et très épais façon d’Angleterre qui sont plutôt produites à Carmaux ou dans des verreries spécialisées. La priorité est alors à la fabrication de masse. La virtuosité et la rapidité d’exécution de certains verriers sont mises au service de la rentabilité. Pour 1888, année précédant la fermeture, on relève la vente de 113 753 flacons, 30 569 verres à pétrole, 22 533 burettes, 18 000 bouchons, 270 encriers, 7 395 kg de porrons, 900 topettes, 243 urinaux, 2 162 bouteilles à pêche, mais aussi des « bouts de seins », des fontaines d’oiseaux, des verres pour lanternes, des ventouses, des salières, des pots à confiture, etc… La marchandise est écoulée sur Midi-Pyrénées et une partie du Languedoc-Roussillon par l’intermédiaire d’une cinquantaine de marchands dont 17 sont domiciliés aux Verreries ou à proximité immédiate10.
La demande d’inscription à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques d’un ensemble d’objets languedociens témoins de cette longue épopée artisanale verrière et voués à une lente disparition en raison de leur fragilité, a paru digne d’intérêt. Leur présentation dans le musée du verre de Sorèze devrait contribuer à la diffusion d’une meilleure connaissance de l’art et de l’histoire du verre, des verreries et des verriers en Languedoc.
Madeleine BERTRAND
1 L. Caliste, « Inventaire des Verreries de la Montagne Noire », Archéologie Tarnaise, N°14, p 45-106.
2 M. Bertrand, « Les Chartreux de Sax et le verre du Cayroulet », Société des Sciences Arts et Belles Lettres du Tarn, bulletin LXIV, p 105- 122.
3 Saint-Quirin, Les Verriers du Languedoc 1290-1790, p XVIII, XXI à XXXX, Montpellier, Réédition Association La Réveillée, Imprimerie Dehan, 1985.Riols de Fonclare, Les Verreries Forestières de Moussons (1450-1890) et Les principales familles de gentilshommes verrier (1925), p 222, 223, 224 et 257, 258, 259, Toulouse, Imprimerie du Sud rue Negreneys, Reprint 1982.
de Robert-Garils, Gentilshommes Verriers, Les Robert, 1899, Nîmes, 2 dernières p., Reprint Imprimerie Christian Lacour, 2000.
4 D. Foy, J,C.Averous, B.Bourrel, « Peyremoutou : Une verrerie du XVII’ s. dans la Montagne Noire », Archéologie du Midi Médiéval, tome 1, p 93 à 103, 1983.
5 S. L’hermitte-King, Cent verres français, 1550-1750, trésors des collections privées, p 43 à 48, Montreuil, 2008.
6 I. Commandré, F. Martin, « Les verreries modernes dans la Montagne Noire : Présentation des premiers résultats avec les ateliers de CATALO (Hérault) et de CANDESOUBRE (Tarn) », Bulletin de l’Association Française pour l’Archéologie du Verre, p 88- 98, 2008.
I.Commandré, F.Martin, « Etude d’une unité verrière moderne dans la Montagne Noire : l’Atelier de Candesoubre,Lacabarède, Tarn », Archéologie Tarnaise, n° 14, p 97 à 106.
7 I. Commandré, F.Martin, avec la collaboration de A.Riols, B.Gratuze, E.Pouyet, R.Roulcau, « Une verrerie moderne dans les Monts du Somail (Hérault) : L’atelier Forestier du Bureau au XVII’ siècle », Etudes Hérauliaises- 41, 2011.
8F. Riols de Fonclare, ouv.cité, p 215.
9 Y. Blaquière, Les Verreries de Moussons, pl 9 à 34, Parc Naturel Régional du Haut Languedoc, Lacaune, Impression Périé, 2009.
10 G. Penin, Les Verreries de Moussans, témoignage du passé, p 41 à 44, Toulouse, Impression Copie Conforme, 2000.